"Village des mutants" (titre à revoir ?)

Ils arrivèrent rapidement en vue de leur village. Une quinzaine de minuscules maisons étaient regroupées, plus ou moins proches les unes des autres, et entourées par quelques champs. Certaines étaient vraiment anciennes, mais la majorité étaient relativement récentes. La communauté s'agrandissait d'année en année. Tout en avançant, Luciole désigna une grange :

- C'est là qu'on va mettre ton cheval et sa carriole. Mais d'abord, on va demander son avis à Mathurin. Il habite cette maison.

La jeune fille, qui s'apprêtait à frapper à la porte, se souvint soudain que le corps couvert de fourrure de son voisin risquait de surprendre Kjell. Elle laissa donc retomber son bras et se tourna vers son compagnon :

- Ah oui, il a une apparence une peu étrange, donc ne t'en étonne pas. En fait, quasiment tout le monde ici est un mutant. Dont moi, comme tu as pu le remarquer.

Elle frappa. Après quelques secondes, on vint lui ouvrir. C'était un homme d'une trentaine d'années, massif, aux gestes lents et au regard doux. Sa fourrure brune lui donnait un air d'ours placide.

- Salut Mathurin !

- Tiens, Luciole. Qu'est-ce qui t'amène ? Ah, mais tu as un invité ?

Il considéra l'étranger avec méfiance. Des regards choqués et des moqueries, il en avait soupé. Cependant, le jeune homme semblait l'observer sans méchanceté, avec une curiosité polie.

- Oui, il s'appelle Kjell, c'est un artisan qui vient du Nord. Il vient d'arriver, et comme il sait pas où dormir, je lui ai proposé de venir une nuit chez nous. Mais on n'a pas la place pour son cheval. Du coup, j'ai pensé à toi. Tu crois que tu pourrais l'héberger dans ta grange ?

- Bien sûr.

Il s'avança vers le cheval et tendit la main pour que celui-ci la renifle, puis lui caressa l'encolure. L'animal, curieux voire méfiant quelques instants auparavant, s'apaisa immédiatement. Il approcha sa tête de l'homme et soupira.

J'ai rencontré peu de mutants durant mes voyages. La plupart se regroupent en communautés refermées sur elles-mêmes, et ont du mal à accepter les étrangers. La faute au racisme des "normaux" qui leur mène la vie dure. La plupart sont devenus très méfiants à l'égard des gens extérieurs.

Cela dit, j'ai déjà eu l'occasion d'en côtoyer lorsque j'étais avec ma mère. Rarement, mais suffisamment pour me rendre compte que ce sont avant tout des gens avec leurs propres spécificités et leurs propres dons - comme tous les autres. Les leurs sont juste un peu plus visibles. J'aime à croire que ces mutations ne sont pas là par hasard, qu'elles reflètent simplement leur caractère, qu'elles crient au monde ce qu'ils sont - qui ils sont. Un peu comme ces personnes trop honnêtes pour savoir cacher leurs émotions.

Et tout, en Mathurin, crie qu'il est un ours. La carrure et la fourrure, certes. La force tranquille qui se dégage de lui aussi. Sa méfiance dénuée d'animosité. Les ours sont comme ça, des êtres qui te respectent lorsque tu leur rends la pareille, et n'use jamais de violence sans raison ou sans provocation. Qu'un ours décide d'être ton ami, et tu auras le meilleur des protecteurs. Je sais qu'il prendra soin de Vän - et visiblement, le cheval ne s'y est pas trompé lui non plus. Il s'approche de Mathurin en soupirant, colle ses nasaux dans la grosse patte de l'homme. Je souris.

- Je crois qu'il t'aime bien. Merci, en tout cas, de t'occuper de lui. Je suis rassuré de le savoir en de bonnes mains.

- Pas de soucis, mon gars, répondit Mathurin. Ca ne me dérange pas. Fais-moi signe quand tu voudras venir le chercher.

- D'accord. Je viendrai demain dans la journée. Je te dédommagerai pour ce qu'il mangera, bien sûr.

L'homme acquiesce d'un air approbateur. Je me tourne vers mon ami, lui flatte l'encolure.

- Vi ses i morgon, Vän. God natt, söta drömmar.

Puis je tends la main à l'homme, qui la serre d'une poigne solide mais étonnamment douce. Je les regarde un instant se diriger vers la grange avant de me tourner vers Luciole. Elle porte vraiment bien son nom. A mesure que le soleil descend, son visage luit de plus en plus.

- Il a l'air gentil. Et maintenant ?

- Maintenant, on va chez moi !

Elle fit signe à Kjell de la suivre. Ils parvinrent rapidement devant la maison familiale. Elle ouvrit la porte et s'exclama :

- Je suis rentrée ! Et j'amène un invité.

Ils levèrent les yeux vers elle. Ils étaient tous les quatre assis autour de la grande table, l'attendant pour le repas. Celui-ci mijotait sur le feu. Anita tourna vers elle un visage radieux :

- Luciole !

La jeune fille eut un sourire et ouvrit son esprit, projetant ses pensées comme elle avait appris à le faire quand sa sœur lui parlait. C'était toujours un peu difficile, et elle ne pouvait pas lancer elle-même de conversation par ce biais, mais cela en valait la peine.

- Ça va, Ani ? Je t'ai rapporté un petit quelque chose. C'est un pendentif en bois, gravé d'une rune. Et l'homme qui l'a fabriqué est venu avec moi.

- Qui est-ce ?

- Il s'appelle Kjell.


- Ah bah enfin ! C'est marrant, on a failli t'attendre, fit Léon d'un ton moqueur.

- On va enfin pouvoir manger, plaisanta Sylvestre.

- Vous pouviez commencer sans moi.

- Tu sais bien qu'on préfère être ensemble. Entrez donc, et présente nous ton invité, proposa Palmyre de son ton tranquille.

Ils entrèrent et elle referma la porte.

- Kjell, je te présente mes parents, Palmyre et Sylvestre, mon petit frère Léon et ma sœur Anita. Et je vous présente Kjell. C'est un marchand qui vient d'arriver en ville, et je me disais qu'on pouvait l'héberger pour cette nuit. Enfin, il se présentera mieux lui-même.

Son frère eut un grognement, distinguant sans peine la pique. Elle lui tira la langue puis se tourna vers son invité.

Une impression de chaleur règne dans la maison, et pas seulement à cause du feu qui craque sous la grande marmite. La famille de Luciole lève les yeux vers elle alors que nous entrons. Ils sont tous les quatre attablés, prêts à manger, mais ils ont manifestement attendu qu'elle revienne pour attaquer le repas, et leurs taquineries cachent mal l'affection qu'ils lui portent.

Ils sont quatre. Si Sylvestre, le père, a l'air relativement normal, les trois autres ont une apparence aussi inhabituelle que celle de Luciole. Palmyre, la mère, a la peau si rigide qu'on dirait des plaques de roche. Léon, jeune garçon plus petit que Luciole, semble au contraire anormalement souple dans chacun des gestes qu'il fait ; son crâne chauve, quant à lui, révèle des écailles rouges qui lui courent en crête jusque dans le dos, disparaissent sous ses vêtements, et réapparaissent sur ses mains et sur chacun de ses doigt. Anita, enfin, petite fille à la chevelure blonde très longues, a les yeux voilés de blancs ; ça ne l'empêche pas de se tourner vers Luciole sans hésiter.

Elles se sont fixées du regard un moment avant que Luciole fasse les présentations. Elles n'ont rien dit, mais j'ai vu un sourire se dessiner sur le visage de ma guide, comme si elles n'avaient pas besoin de mot pour communiquer.

A présent, c'est moi que tout le monde regarde, curieux. Je me sens rougir un peu, mais j'ai l'habitude. Quand on est voyageur, il faut savoir supporter les regards, souvent méfiants. Et ceux-là sont tout sauf hostile. Alors je souris.

- Je m'appelle Kettil, fils de Svanhild, mais comme vous l'a dit Luciole, tout le monde m'appelle Kjell, c'est plus rapide. Je suis un voyageur et je viens de Suède. Je suis artisan avant d'être marchand, mais je vends ce que je fabrique pour vivre et continuer à voyager.

J'hésite comme toujours à parler de la magie, parce qu'elle n'est pas toujours bien accueillie, mais après tout, Luciole n'avait pas l'air perturbée en voyant toutes mes babioles magiques.

- J'étudie la magie, aussi. Partout où je m'arrête, j'essaye de trouver de nouvelles façons de l'intégrer à ce que je fabrique. Pour aider les gens, ou simplement parce que c'est utile ou joli. Mais je ne l'utilise pas toujours.

Durant mes voyages, j'ai appris que les présentations courtes sont souvent les meilleures, et la mienne n'a déjà que trop duré. Il est temps de conclure.

- En tout cas, je vous remercie de m'héberger pour la nuit. Si vous avez besoin d'aide pour quelque chose, je serai ravi de pouvoir être utile. Et bien sûr, quand je serai installé pour de bon vous pourrez passer me voir quand vous le souhaitez.

Kjell se présenta rapidement, et conclut par un remerciement :

- En tout cas, je vous remercie de m'héberger pour la nuit. Si vous avez besoin d'aide pour quelque chose, je serai ravi de pouvoir être utile. Et bien sûr, quand je serai installé pour de bon vous pourrez passer me voir quand vous le souhaitez.

Sylvestre se leva, saisit la marmite et la posa sur la table.

-Bah, Luciole ne nous a pas vraiment laissé le choix, plaisanta-t-il. Asseyez-vous, le repas refroidit.

Luciole alla chercher un bol et des couverts de plus, puis s'assit sur le banc, près d'Anita, et se serra un peu contre elle pour faire de la place à Kjell. Léon et sa mère étaient en face, et Sylvestre saisit un tabouret dans un coin de la pièce et s'y assit en bout de table, près de la cheminée.
La jeune fille se leva et servit tout le monde. Le ragoût fumait, contrairement à ce qu'avait dit son père. Enfin, elle se rassit, saisit un des morceaux de pain dans la corbeille et commença à manger. Elle jeta un coup d’œil à sa sœur. Celle-ci avait saisit sa cuillère et mangeait doucement.

- Tu viens donc de Suède ? Tu parais pourtant bien jeune pour avoir fait un voyage aussi long. Qu'est-ce qui t'amène ici, à Paris ? demanda Palmyre.

- C'est une longue histoire, je ne voudrais pas vous embêter avec les détails.

Je regarde l'assiette de ragoût devant moi. Elle fume et sent bon. Il fait chaud et je suis en bonne compagnie. Cela fait des semaines que je ne me suis pas senti aussi bien - les gens accueillent plus rarement les étrangers dans cette région que dans d'autres. Trouver un foyer agréable, même pour un soir, était une chance dont il fallait profiter. Et quatre paires d'yeux curieux posées sur moi attendaient la suite. Je souris à nouveau.

- Mais ça me ferait très plaisir d'en partager une partie avec vous ce soir.

Je mange un peu de ragoût que je prends le temps de savourer, afin de mettre mes idées en ordre et de trouver par où commencer.

« Cela fait un peu plus d'un an que j'ai quitté la Suède pour venir à Paris. Pour faire simple, disons que je voyage ainsi pour lever une espèce de malédiction qui pèse sur ma mère et qui bride sa magie. Je veux trouver le moyen de couper ces liens qui l'empêchent d'utiliser sa magie. Sans elle, elle ne peut plus gagner sa vie, et encore moins voyager. Or le voyage, c'est toute sa vie : elle était déjà sur les routes avant ma naissance, et n'a jamais tenue en place. Ca me peine de la savoir bloquée quelque part, et je veux pouvoir lui rendre sa liberté.
« Elle voit les choses différemment, bien sûr. Pour elle, c'est un peu de repos mérité, et elle compte en profiter pour se réapproprier son corps, en retrouver la maîtrise qu'elle avait avant de pouvoir s'appuyer sur la magie. Mais je ne me fais pas d'illusion et je pense qu'elle non plus. C'est une combattante qui prend de l'âge. Sans magie elle ne retrouvera jamais les réflexes qu'elle avait il y a dix ans, et sans ces réflexes, elle court à la mort.
« Pour toutes ces raisons, je suis venu à Paris dans l'espoir d'apprendre. J'avais entendu dire que tous les plus grands savants de l'Europe se rendaient ici, et j'espérais pouvoir trouver quelqu'un pour m'aider. Mais cela fait trois jours que je suis en ville, trois jours durant lesquels j'ai heurté des murs de politesse froide et distante et de mépris envers les voyageurs mal dissimulé. Heureusement qu'il reste des gens comme vous pour accueillir les vagabonds comme moi.
« Ce n'est pas le cas partout, vous savez. Il y a une autre raison pour laquelle j'ai gagné Paris, ou plutôt, pour laquelle j'ai mis tant de temps à l'atteindre. Je vous l'ai dit, ma mère a la bougeotte, et d'aussi loin que je me souvienne, je l'ai toujours suivie sur les routes. Ensemble, nous avons parcouru une bonne partie de la Suède, mais je n'étais jamais allé à l'étranger. C'était l'occasion pour moi de voir le monde. Le Danemark et la Norvège, bien sûr, qui sont juste à côté. Mais aussi l'Angleterre et l'Irlande. Mon père était irlandais, mais je ne l'ai jamais connu. Je voulais voir d'où il venait, ce pays d'émeraude dont me parlait ma mère quand j'étais petit. Je n'ai pas été déçu, c'est une contrée magnifique. Les irlandais, eux, se sont révélés des hôtes festifs, et je n'ai jamais autant ri, bu ou mangé qu'en leur compagnie. Ils aiment raconter des histoires, et chanter aussi. J'ai appris une ou deux de leurs chansons, je pourrai vous les chanter si vous voulez. »

- Pourquoi pas ! En tout cas, tu as de la chance d'avoir vu tant de choses. Nous n'avons jamais eu les moyens de voyager, mais nous sommes bien ici. Luciole et Léon gagnent plutôt bien leur vie, et ma femme et moi travaillons souvent aux champs. Je trouve parfois du travail, mais c'est plus difficile pour Palmyre.

- Rares sont les gens qui ne soient pas rebutés par une apparence différente de la leur, et de plus, mes doigts ne sont plus aussi délicats et agiles qu'avant, continua celle-ci avec une pointe de tristesse, en montrant ses mains calleuses. J'ai longtemps été couturière dans ma jeunesse, mais ça n'est plus possible à présent. Ta mère travaille donc avec la magie ? Que fait-elle ?

[insérer réponse(s) ici, conversation qui peut se poursuivre avant la suite]

Ils continuèrent leur discussion en mangeant. Une fois le repas terminé, alors qu'ils ramassaient les assiettes et les rinçaient à l'eau du seau rempli au puits, Léon, jusqu'ici plutôt silencieux, prit la parole :

- Ça se vend bien, les objets magiques ? En général, c'est tellement cher que je connais peu de monde qui en achète.

[réponse(s) à insérer aussi]

- Sinon, Kjell, si tu cherches des mages, ici une Université de magie est en train de se former, ils essaient de recruter et former du monde, je crois. Sinon, ici à Montmartre, il y a pas mal de gens qui pratiquent la magie. Ils veulent être à l'écart, il me semble.


[et là]

- Rares sont les gens qui ne soient pas rebutés par une apparence différente de la leur, et de plus, mes doigts ne sont plus aussi délicats et agiles qu'avant, continua celle-ci avec une pointe de tristesse, en montrant ses mains calleuses. J'ai longtemps été couturière dans ma jeunesse, mais ça n'est plus possible à présent. Ta mère travaille donc avec la magie ? Que fait-elle ?

- C'est une combattante. Une mercenaire. Je sais que ce n'est pas un métier très bien vu en général, mais là d'où je viens, c'est tout à fait honorable. Ma mère choisit d'embrasser les causes justes dès qu'elle le peut - mais il faut bien manger, et il lui est arrivé parfois d'exécuter de sales besognes. Toujours en s'arrangeant pour qu'elles soient le moins dégradant possible, et pour réparer les choses du mieux qu'elle pouvait ensuite. Elle ne tuait que quand c'était nécessaire. Être mercenaire ne signifie pas ne pas avoir de principe. Sa magie l'aidait à pallier aux faiblesses de son corps de plus en plus usé par les combats et les voyages. Il fallait la voir à l'oeuvre ensuite : c'était une danse qu'elle exécutait, une danse magnifique - mais une danse parfois mortelle. En dehors des combats, elle racontait des histoires, cousait un peu, taillait le bois beaucoup. C'est elle qui m'a appris à tailler et à coudre. Le reste j'ai appris seul, ou bien avec les gens que je rencontrais dans les villes et villages qu'on traversait. Je suis désolé pour vos mains, je sais à quel point elles sont importantes pour les couturiers et les tisserands.


[Suite du dialogue ?]


Le repas terminé - cela faisait longtemps que je n'avais pas si bien mangé - c'est Léon qui se tourne vers moi.

- Ça se vend bien, les objets magiques ? En général, c'est tellement cher que je connais peu de monde qui en achète.

- Ça se vend, en tout cas. A part pour quelques objets dont je suis très fier, je ne fais en général pas de la grande magie, ou bien je fais des expériences qui ratent un peu et la magie n'est pas celle que j'attendais. Donc la plupart du temps, je ne vends pas mes articles aussi cher que d'autres, et donc j'ai un peu plus de clients. Mais je t'avoue que les vêtements ou les bibelots que je vends le plus sont ceux qui ne sont pas magiques. Cela dit, la magie me permet de vivre. Sans elle, je n'aurais pas le temps de voyager et de tailler, de coudre ou de forger en même temps, il faudrait que je concentre absolument toute mon attention dessus.


[Suite du dialogue ?]


- Sinon, Kjell, si tu cherches des mages, ici une Université de magie est en train de se former, ils essaient de recruter et former du monde, je crois. Sinon, ici à Montmartre, il y a pas mal de gens qui pratiquent la magie. Ils veulent être à l'écart, il me semble.

- Oui, j'ai entendu parlé de cette Université, mais les gens à qui j'ai parlé se targuaient d'en faire partie et n'ont pas été très accueillant. Je me méfie un peu. Mais avec une telle réputation, il y aura sans doute aussi des gens plus polis qui finiront par se montrer. J'irai peut-être voir ces magiciens de Montmartre aussi, même si je préfèrerais éviter de les déranger.

Je repense soudain au papier dans ma poche, que m'a donné cette femme, Aurore, un peu plus tôt. Je le sors et le déplie.

- Ou bien j'irai voir ce Vincent Genévrier pour qu'il m'aide à trouver quelqu'un qui pourra m'aider.

- C'est une combattante. Une mercenaire. Je sais que ce n'est pas un métier très bien vu en général, mais là d'où je viens, c'est tout à fait honorable. Ma mère choisit d'embrasser les causes justes dès qu'elle le peut - mais il faut bien manger, et il lui est arrivé parfois d'exécuter de sales besognes. Toujours en s'arrangeant pour qu'elles soient le moins dégradant possible, et pour réparer les choses du mieux qu'elle pouvait ensuite. Elle ne tuait que quand c'était nécessaire. Être mercenaire ne signifie pas ne pas avoir de principe. Sa magie l'aidait à pallier aux faiblesses de son corps de plus en plus usé par les combats et les voyages. Il fallait la voir à l'oeuvre ensuite : c'était une danse qu'elle exécutait, une danse magnifique - mais une danse parfois mortelle. En dehors des combats, elle racontait des histoires, cousait un peu, taillait le bois beaucoup. C'est elle qui m'a appris à tailler et à coudre. Le reste j'ai appris seul, ou bien avec les gens que je rencontrais dans les villes et villages qu'on traversait. Je suis désolé pour vos mains, je sais à quel point elles sont importantes pour les couturiers et les tisserands.

- C'est gentil. Mais je trouve du travail ailleurs, à présent, voilà tout. Je suis étonnée de l'activité de ta mère. Quelle vie étrange ça doit être, de voyager ainsi, sans point fixe auquel se raccrocher.

- Ça doit être super ! Enfin, peut-être pas toute une vie. Mais quelques mois, quelques années à ne faire que voyager, que découvrir des lieux et des gens... Pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt ? s'enthousiasma la jeune fille.

- Sans doute parce qu'on est bien, ici, et qu'on n'a pas assez d'argent pour voyager, répliqua Léon, d'un naturel casanier.

- Au fait, Ani, je ne t'ai pas donné ton cadeau !

Luciole sortit le pendentif d'une de ses nombreuses poches, et le tendit à sa sœur. Celle-ci sourit, hocha la tête, le saisit et commença à l'examiner de ses mains.

- Kjell va t'expliquer d'où il vient et ce qu'il signifie.


(suite ?)


- Ça se vend, en tout cas. A part pour quelques objets dont je suis très fier, je ne fais en général pas de la grande magie, ou bien je fais des expériences qui ratent un peu et la magie n'est pas celle que j'attendais. Donc la plupart du temps, je ne vends pas mes articles aussi cher que d'autres, et donc j'ai un peu plus de clients. Mais je t'avoue que les vêtements ou les bibelots que je vends le plus sont ceux qui ne sont pas magiques. Cela dit, la magie me permet de vivre. Sans elle, je n'aurais pas le temps de voyager et de tailler, de coudre ou de forger en même temps, il faudrait que je concentre absolument toute mon attention dessus.

- Pourquoi ? La magie te permet-elle de faire plusieurs choses en même temps ? Jamais entendu parler d'une telle aptitude, répondit Léon.

- Au fait, Luciole, en parlant de magie ? Il commence à faire sombre. Tu veux bien allumer la lanterne, qu'on puisse jouer aux cartes ? lança son père en amenant sur la table une boule de verre montée sur un pied en métal.

- Pas de problème !

La jeune fille enleva ses lunettes et soupira de contentement. Enfin, la vraie lumière ! Elle avait un peu hésité à le faire compte tenu de leur invité, mais celui-ci ne semblait pas dérangé outre mesure par les mutations. Elle avait peu de chances d'être prise pour le diable. Elle fixa l'objet, puis ferma les yeux et se concentra, respirant à fond. Elle la sentait. La magie bougeait en elle, autour d'elle, partout. Elle adorait cette sensation, même si elle lui paraissait un peu dangereuse. Elle se mit à puiser un peu de sa propre énergie, pour la transférer vers le globe de verre.
Quand elle rouvrit les yeux, la lampe brillait d'une lumière blanche, douce, tout juste assez forte pour lire sans problème.


(suite ?)


- Sinon, Kjell, si tu cherches des mages, ici une Université de magie est en train de se former, ils essaient de recruter et former du monde, je crois. Sinon, ici à Montmartre, il y a pas mal de gens qui pratiquent la magie. Ils veulent être à l'écart, il me semble.

- Oui, j'ai entendu parlé de cette Université, mais les gens à qui j'ai parlé se targuaient d'en faire partie et n'ont pas été très accueillant. Je me méfie un peu. Mais avec une telle réputation, il y aura sans doute aussi des gens plus polis qui finiront par se montrer. J'irai peut-être voir ces magiciens de Montmartre aussi, même si je préfèrerais éviter de les déranger.

Je repense soudain au papier dans ma poche, que m'a donné cette femme, Aurore, un peu plus tôt. Je le sors et le déplie.

- Ou bien j'irai voir ce Vincent Genévrier pour qu'il m'aide à trouver quelqu'un qui pourra m'aider.

Elle éclata de rire :

- Je ne veux dire du mal de personne, mais ça m'étonnerait que Vincent ait plus d'informations à te donner que moi. Et chez lui, ça ne sera pas gratuit. Pour quelqu'un qui vient d'arriver et qui n'a pas trop d'argent, je ne pense pas que ça soit approprié.

- En plus, tu risques d'être victime d'une mauvaise blague, fit remarquer Léon d'un ton amusé.

- Kjell va t'expliquer d'où il vient et ce qu'il signifie.

Luciole se tourne vers moi, et je sens qu'Anita tend l'oreille pour m'écouter, même si elle ne me regarde pas. Bizarrement, sans que je sache trop pourquoi, elle m'intimide. Je n'ai pas souvent l'occasion de parler aux enfants, et le collier et ce qu'il représentent me semblent soudain bien dérisoires face à sa cécité. Mais je n'ai plus tellement le choix.

- C'est un petit pendentif en bois de pin que j'ai taillé quand j'étais à peine plus vieux que toi. Ces pendentifs sont les premières choses que j'ai faites. Ils n'ont rien de vraiment magique - ou bien alors, une magie plus profonde, plus vieille que celle que nous connaissons, intimement liée au bois et à la terre. Ce que tu sens gravé dessus, c'est une rune des pays du nord. Celle-ci s'appelle Sigel. Elle représente le soleil et la lumière. Autrefois, c'était elle qui guidait les hommes perdus, que ce soit en mer ou dans les ténèbres. C'était elle aussi que l'on invoquait pour faire fondre les glaces de l'hiver. Elle ne porte pas de magie en elle, mais elle a un jour porté la croyance des hommes. C'est peut-être tout aussi fort.

J'ai déjà dit tout ça à Luciole, mais cette fois je me sens un peu gêné. Ridicule, peut-être. L'explication me paraît soudain bancale. Je sens le rouge monter à mes joues. Curieusement, je suis un peu soulagé qu'elle ne puisse pas le voir.

- En tout cas, ça me ferait vraiment plaisir que ce soit toi qui l'ait. Peut-être qu'il te guidera un jour toi aussi.


[suite ?]



- Pourquoi ? La magie te permet-elle de faire plusieurs choses en même temps ? Jamais entendu parler d'une telle aptitude, répondit Léon.

- Pas vraiment... Même si je vends mes objets magiques moins chers que les autres, ils me rapportent suffisamment pour me permettre d'avoir du temps à moi - pour voyager, pour effectuer des recherches, pour créer de nouvelles choses... Sans la magie, je devrais fabriquer beaucoup de fois les mêmes outils - ceux dont les gens se servent tous les jours - pour espérer pouvoir les vendre et survivre correctement. (Plus pour moi-même, je murmure Finalement, la magie m'a empêché de changer ma joie en labeur. Je devrais peut-être la remercier...

- Au fait, Luciole, en parlant de magie ? Il commence à faire sombre. Tu veux bien allumer la lanterne, qu'on puisse jouer aux cartes ? lança son père en amenant sur la table une boule de verre montée sur un pied en métal.

- Pas de problème !

J'ai toujours apprécié de voir les gens mettre en œuvre leurs pouvoirs. Chaque personne a une affinité particulière avec elle, et elle prend donc une forme différente à chaque fois. Comme pour les mutations, c'est souvent un reflet instructif de leur personnalité. Et puis, bien sûr, les particules bleutés de magie réagissent chaque fois différemment. Je m'étonne toujours de pouvoir les voir quand elles sont invisibles aux autres, mais j'imagine que cela fait partie de mon pouvoir. Peut-être que, inconsciemment, je me sers de la magie pour voir comment sont les choses, afin de pouvoir les comprendre et les reproduire.

Toujours est-il que cette réaction unique à chaque pouvoir est intéressante à observer, et souvent instructive - sur la manière dont la personne emploie les particules, les modèle pour qu'elles prennent la forme désirée. Il y a souvent plusieurs manières de créer une même chose. Par exemple, lorsque je crée un objet magique, je grave à l'intérieur les particules qui les couvrent en surface. Je les y forge. Et pour créer une lumière, je les forge de la manière la plus compacte possible. Ensemble, si rapprochées, elles se mettent à chauffer et à produire une boule de lumière qui dure tant que les particules ne se sont pas dispersées - c'est à dire tant que l'objet n'est pas brisé. Bien sûr, je suis obligé d'utiliser une partie de mes particules à moi - elles servent de liant, elles empêchent la magie de s'échapper de l'objet et elles la gardent dans la forme que je leur ai donnée.

Luciole, elle, agit différemment. Elle puise en elle sa propre lumière. Pas beaucoup, juste un petit peu. Elle projette ses particules lumineuses, plus blanches que bleues, qui s'envolent en tournoyant légèrement vers la lampe. Comme... des lucioles, qui bousculent gentiment les autres particules sur leur chemin et les entraînent dans leur danse. Et lorsqu'elles arrivent à destination, c'est comme si elles réveillaient les particules de la lampe. Qu'elles montraient à la lampe comment briller - et celle-ci, en effet, s'allume alors d'une lumière blanche et vive.

Je ne sais pas si elle se rend compte de la manière dont son pouvoir agit. Sans doute que non - et le saurait-elle que ça ne changerait pas grand chose. Mais c'est un beau spectacle, et je suis parfois déçu d'être le seul à pouvoir le contempler, de n'avoir personne avec qui le partager.

Je secoue la tête et me tourne vers elle pour lui demander comment elle a appris à se servir de sa magie, et ses yeux rencontre les miens. Je sursaute.

Elle a retiré ses lunettes. Je me demandais depuis un moment de quelle couleur ils pouvaient bien être - c'est quelque chose que j'aime bien regarder - mais je ne m'attendais sûrement pas à ce qu'ils soient rouges. Rien à voir avec le rose délavé qui caractérisent les albinos : c'était un rouge plus sombre, un rouge de sang.

Ce n'est pas du vrai sang, Kjell, ce n'est pas du vrai sang, reprends-toi. Ce ne sont que ses yeux. Pourtant, je me sens devenir livide et crispé. Du sang. Comme cette fois-là, quand j'ai failli la tuer. Du sang. Ce n'est pas quelque chose qu'on devrait voir - et je n'en ai déjà vu que trop.

Je me sens mal.


[suite]


Luciole éclata de rire :

- Je ne veux dire du mal de personne, mais ça m'étonnerait que Vincent ait plus d'informations à te donner que moi. Et chez lui, ça ne sera pas gratuit. Pour quelqu'un qui vient d'arriver et qui n'a pas trop d'argent, je ne pense pas que ça soit approprié.

- En plus, tu risques d'être victime d'une mauvaise blague, fit remarquer Léon d'un ton amusé.

Je souris.

- Dans ce cas, je me fierai plutôt à toi. Mais peut-être qu'il vaudrait mieux en reparler demain, je ne peux de toute façon pas aller voir grand monde à cette heure-ci.

- C'est un petit pendentif en bois de pin que j'ai taillé quand j'étais à peine plus vieux que toi. Ces pendentifs sont les premières choses que j'ai faites. Ils n'ont rien de vraiment magique - ou bien alors, une magie plus profonde, plus vieille que celle que nous connaissons, intimement liée au bois et à la terre. Ce que tu sens gravé dessus, c'est une rune des pays du nord. Celle-ci s'appelle Sigel. Elle représente le soleil et la lumière. Autrefois, c'était elle qui guidait les hommes perdus, que ce soit en mer ou dans les ténèbres. C'était elle aussi que l'on invoquait pour faire fondre les glaces de l'hiver. Elle ne porte pas de magie en elle, mais elle a un jour porté la croyance des hommes. C'est peut-être tout aussi fort.

Le marchand prit un air gêné et rougit.

- En tout cas, ça me ferait vraiment plaisir que ce soit toi qui l'ait. Peut-être qu'il te guidera un jour toi aussi.

Anita sourit. Elle avait senti la voix de l'étranger se crisper, comme s'il était gêné. Elle tendit son esprit vers lui et dit d'un ton apaisant :

« C'est gentil. Il a l'air très beau. Il est doux, et je sens presque une chaleur en lui. Je suis contente de l'avoir. »

- Montre ? demanda son père.

L'objet passa de mains en mains, puis revint à la fillette.

Elle passa le pendentif autour de son cou.

« Merci à vous deux. »

Ils terminèrent de manger, et Léon se tourna vers Kjell.


[lien effectué avec la suite]


Son petit tour effectué, Luciole se tourna vers son invité avec un sourire de contentement. Celui-ci le lui rendit, puis la dévisagea et pâlit. La jeune fille perdit aussitôt son expression amène, et remit ses lunettes.

- Oh. Je ne pensais pas que ça te choquerait, tu avais l'air assez ouvert à ce niveau... toi aussi tu me prends pour le diable, c'est ça ?

Palmyre, avisant que l'étranger semblait sur le point de tourner de l'oeil, se leva et apporta un linge humide, dont elle lui tapota le front :

- Allons, tu ne vas pas t'évanouir. Ça va mieux ?


[suite]


- Dans ce cas, je me fierai plutôt à toi. Mais peut-être qu'il vaudrait mieux en reparler demain, je ne peux de toute façon pas aller voir grand monde à cette heure-ci.

- Bien sûr. On ira avec toi, si tu veux. Léon et moi, on doit chercher un boulot, et il parait qu'ils recrutent de temps en temps dans le coin.

- Ouais, c'est ce que m'avait dit Jean en tout cas, ajouta Léon.

- Toi aussi tu me prends pour le diable, c'est ça ?

Luciole a remis ses lunettes, et je ne vois plus ses yeux. Je me sens déjà un peu mieux, mais la nausée est encore là. Palmyre me tend un linge humide et je l'accepte avec soulagement. La sensation de malaise reflue, je peux enfin respirer librement.

La question de Luciole me frappe alors. Son ton soudain amer, surtout. Je regarde la jeune fille, qui paraît plus tendue qu'auparavant. J'imagine que ses yeux sont un sujet très sensible, et je comprends désormais pourquoi elle les cache. Et ma réaction n'était pas franchement amicale. Il faut que j'essaye de me rattraper, mais j'ai bien l'impression que le mal est fait...

- Ce n'est pas ça, c'est juste... Le sang...

Les souvenirs sont toujours là et je me maudis intérieurement. Ma voix est tremblante, je me sens rechuter. Mais il n'y a plus aucune trace de rouge autour de moi, c'est plus facile pour reprendre ses esprits. J'inspire profondément avant de continuer, en essayant de me donner une contenance.

- Je n'aime pas le sang. Ce n'est pas ta faute, mais tes yeux y ressemblent trop. Förlåt mig.

Ma voix tremble toujours, mais elle ne s'est pas brisée - c'est déjà ça. Je souris faiblement en m'apercevant que je viens de m'excuser en suédois, et ce geste m'aide à me calmer un peu.


[suite]

Bien sûr. On ira avec toi, si tu veux. Léon et moi, on doit chercher un boulot, et il parait qu'ils recrutent de temps en temps dans le coin.

- Ouais, c'est ce que m'avait dit Jean en tout cas, ajoute Léon.

- Merci à vous deux.

Je souris à nouveau. Finalement, peut-être mes recherches vont-elles pouvoir enfin commencer.

- Je n'aime pas le sang. Ce n'est pas ta faute, mais tes yeux y ressemblent trop. Förlåt mig.

Kjell eut un faible sourire d'excuse. Il paraissait vraiment mal en point. Adoucie, Luciole le rassura :

- Ca va, ce n'est pas grave. Je n'aurais pas dû me vexer pour si peu. C'est juste que... les gens acceptent plus ou moins la plupart des mutations, mais les yeux rouges, ça, c'est forcément synonyme de "démon" ou d'autres bêtises. Bon, ben je garderai mes lunettes en ta présence, alors. 

Il y eut un moment de silence. Anita tendit son esprit vers  celui de l'étranger avec curiosité :

"Pourquoi as-tu peur du sang, Kjell ?"


(dialogue suivant terminé.)

"Pourquoi as-tu peur du sang, Kjell ?"

Je m'apprête à répondre, mais quelque chose retient mon attention dans sa manière de me parler. Une vague impression, qui me suit chaque fois qu'Anita dit quelque chose. Comme si sa voix était à la fois diffuse et trop forte. Je n'avais pas vraiment remarqué jusque-là, trop concentré sur ses yeux ou mes pensées, trop occupé à détourner le regard. Il faut que j'observe.

- C'est une vieille histoire entre ma mère et moi. Un jour, je jouais avec Skydd, son épée. Elle voulait me montrer à quel point cela pouvait être dangereux, et elle m'a préparé une surprise qui a... un peu trop bien marché, sans doute. Depuis, j'ai beaucoup de mal à supporter le sang - surtout celui des autres, en fait, voir le mien ne me dérange pas. Normalement, je me maîtrise un peu mieux qu'aujourd'hui, mais ça faisait longtemps et c'était... inattendu. Les yeux ne sont pas vraiment quelque chose que l'on aime voir couvert de sang.

Je jette un oeil furtif à Luciole, qui semble avoir repris une attitude normale. Enfin, normale pour elle. Une attitude luciolienne, peut-être.
Anita. Concentre-toi sur Anita, Kjell. Qu'est-ce qui est étrange avec sa voix ?

- C'est une vieille histoire entre ma mère et moi. Un jour, je jouais avec Skydd, son épée. Elle voulait me montrer à quel point cela pouvait être dangereux, et elle m'a préparé une surprise qui a... un peu trop bien marché, sans doute. Depuis, j'ai beaucoup de mal à supporter le sang - surtout celui des autres, en fait, voir le mien ne me dérange pas. Normalement, je me maîtrise un peu mieux qu'aujourd'hui, mais ça faisait longtemps et c'était... inattendu. Les yeux ne sont pas vraiment quelque chose que l'on aime voir couvert de sang.

- Je peux comprendre ce que tu ressens. Mais les yeux de Luciole sont sujets de moqueries et de superstitions depuis qu'elle est toute petite. Elle a fini par développer une certaine susceptibilité à ce sujet, expliqua Palmyre.

- Mais non, j'm'en fiche. C'est juste plus simple de les cacher pour trouver du boulot. Les gens t'embauchent pas si ils te prennent pour un démon.

"Si, si, elle est vraiment susceptible." transmit Anita à Kjell d'un ton amusé. Puis elle devint soudainement sérieuse : "Mais on l'a vraiment embêtée avec ça... Je peux te dire un secret ?"

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"Dis, tu pourras me raconter comment c'est, ailleurs ? J'aimerais bien voir des montagnes, des lacs, des forêts. J'ai pu voir que Montmartre, quand j'étais petite, avant."

"Mais on l'a vraiment embêtée avec ça... Je peux te dire un secret ?"

Là ! J'ai compris. Elle ne remue pas les lèvres. Je l'entends directement dans ma tête. C'est pour ça que sa voix me paraît étrange. C'est la première fois que je vois une chose pareille. Fascinant. Il faudrait que je regarde mieux comment elle s'y prend la prochaine fois, peut-être que je prenne des notes pour étudier ce qui se passe exactement et...
Qu'est-ce que je raconte ? C'est une enfant, juste une enfant. Pas un sujet de recherche. Cela dit, il n'y a rien de mal à rester attentif en sa présence.
Je jette un coup d'oeil autour de moi. Palmyre me regarde avec insistance, de même que Luciole, la tête légèrement penchée sur le côté. Je m'aperçois que j'ai la bouche ouverte. Depuis combien de temps ? Je m'empresse de la refermer, un peu gêné, et me tourne vers Anita.

- Je serai muet comme une tombe.

[]

"Dis, tu pourras me raconter comment c'est, ailleurs ? J'aimerais bien voir des montagnes, des lacs, des forêts. J'ai pu voir que Montmartre, quand j'étais petite, avant."

- Bien sûr ! Qu'est-ce que tu veux savoir en premier ?

Pendant plus d'une heure, je lui raconte les plus beaux paysages que j'ai pu voir. Le soleil de minuit qui veillait sur moi alors que je pêchais dans ma petite barque, au milieu des eaux limpides et sereines d'un lac suédois ; le vent qui soufflait, soufflait, soufflait encore dans les vallées danoises, emportant brins d'herbes, pétales de fleurs et feuilles dans un ballet sans fin ; les lumières de l'Aurore Boréale qui illuminaient le ciel nocturne de la Norvège ; les hautes montagnes dans leur blanc manteau qui se dressaient au dessus des bras de mer d'un bleu profond, formant les fjords ; les forêts sombres d'Angleterre emplie de légendes anciennes, où chaque arbre semblait animé d'une vie propre et menaçante ; le brouillard de Londres - si épais qu'on ne voyait pas sa propre main - et les ombres qui le peuplaient ; les collines de l'île d'émeraude peuplées de moutons paisibles et de ruines celtes étranges ; et ainsi de suite.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas raconté comme ça mes voyages. A mesure que je parle, je replonge avec nostalgie dans les scènes que je décris. Cela ne fait que trois jours que je suis à Paris, mais après plus d'un an de voyage incessant, cela me semble déjà une éternité. Pourtant, je ne regrette pas les routes, pas encore. Passer ses journées à avancer sans cesse est épuisant et ça me fera du bien de me reposer quelques temps. Pour la première fois, je songe à m'installer vraiment. Ce doit être agréable d'avoir sa propre boutique. Et des amis qu'on est certain de revoir un jour.

Je lève les yeux vers Luciole et Léon qui se sont rapprochés pour m'écouter. Un peu plus loin Palmyre et Sylvestre font semblant de s'occuper, mais je sais qu'ils tendent l'oreille, eux aussi. Le tableau dégage une impression de chaleur comme j'en ai rarement ressenti.
Oui, je pense que je pourrais m'habituer à ce genre de vie.

- Je serai muet comme une tombe.

Anita sourit :

"Ca n'est pas un secret comme ça. C'est plutôt que Luciole veut peut-être pas que je te le dise. Mais tu as l'air gentil. En fait, c'est pas ma vraie grande soeur. J'ai que un frère, Léon. Luciole vient d'une famille riche qui l'a abandonnée à cause de ses mutations. Mes parents l'ont adoptée quand elle était petite, et elle avait un autre prénom avant.  Mais moi j'étais pas encore née.

[]

Tout le monde écoutait Kjell raconter ses voyages. Luciole avait des étoiles dans les yeux à l'évocation de tant de choses différentes et merveilleuses. Quand il eut fini, elle se tourna vers Léon et Anita :

- Quand on aura assez de sous, on partira en voyage, d'accord ?

- Peut-être...

"Je veux bien. Si je suis avec toi, j'aurai pas peur."

- Bon, c'est bien joli tous ces projets, mais je propose qu'on aille tous se coucher. Il se fait tard. fit remarquer son père.

- C'est vrai. Kjell, tu n'as qu'à venir dormir avec moi, proposa Léon.

"Ca n'est pas un secret comme ça. C'est plutôt que Luciole veut peut-être pas que je te le dise. Mais tu as l'air gentil. En fait, c'est pas ma vraie grande soeur. J'ai que un frère, Léon. Luciole vient d'une famille riche qui l'a abandonnée à cause de ses mutations. Mes parents l'ont adoptée quand elle était petite, et elle avait un autre prénom avant. Mais moi j'étais pas encore née."

- Vraiment ?

Je ne suis pas surpris, pourtant. Ce genre de pratique est courante à travers le monde. Et les enfants abandonnés ne sont pas toujours les plus mal lotis. Les rares fois où j'ai rencontré d'autres mutants, je les ai écouté parlé, j'ai entendu leurs histoires. Parfois, certaines familles parmi les puissantes refusent de se séparer de l'enfant - en général par peur du scandale, parfois par amour pour lui. Ces enfants-là se retrouvent alors coincés dans une société qui ne veut pas d'eux et vivent un véritable enfer. Les riches et les puissants sont souvent encore plus réfractaires à l'idée d'accueillir des mutants parmi eux, forçant les quelques uns évoluant parmi eux à se cacher toute leur vie. Les plus chanceux finissent par s'enfuir et par rejoindre des communautés plus accueillantes. Mais la plupart des histoires connaissent des fins beaucoup plus tristes.

- Si tu veux mon avis, Anita, elle y a beaucoup gagné. Même si elle n'est pas née ici, vous êtes sa vraie famille, maintenant.

[]

- Bon, c'est bien joli tous ces projets, mais je propose qu'on aille tous se coucher. Il se fait tard, a fait remarquer Sylvestre.

- C'est vrai. Kjell, tu n'as qu'à venir dormir avec moi, a proposé Léon.

- C'est d'accord, j'ai répondu. Tu me montres ?

[J'pense qu'on peut finir là ? Faudra qu'on discute pour savoir comment on commence la journée du lendemain, on va p'têtre pas faire tout le lever/p'tit déj]