[4 avril 1873] Foire de Montmartre

Paris était immense, c’était là une chose qui avait profondément marquée Rose lorsqu’elle était arrivée dans la capitale française. Elle avait certes déjà vu foule de personnes, dans sa vie, mais là, c’était bien plus incroyable que ce qu’elle avait pu apercevoir par le passé. La rouquine qui n’aimait guère être traitée comme une enfant, bien qu’au fond, elle en soit encore une, n’avait pas fait trop de simagrées lorsque sa tante l’avait prise par la main. Elle préféré encore avoir l’air d’un bébé plutôt que de se perdre parmi une telle foule. Il y avait de tout, semblait-il, dans le coin, et elle ne savait où poser son regard tant il y avait de choses à regarder en tous sens.

La fillette avait remarqué la tension qui régnait dans l’air, non loin de sa tante et d’elle-même, mais elle préféra ne pas trop s’inquiéter de ce qui avait pu se produire, tant qu’on la laissait plus ou moins en paix… Elle n’allait pas se mêler de ce qui ne la regardait pas. Et bien que curieuse, elle avait déjà bien trop à faire avec l’étendue de la foire sans se préoccuper, en plus des disputes possibles qui pouvaient fuser alentours. Alors que Catheline s’adressait à sa nièce, cette dernière jusqu’alors occupée à tout dévorer du regard, pleine de curiosité, redressa son menton pour poser ses prunelles azur sur sa tante. Il était assez difficile de se faire entendre dans un tel bazar, mais elle saisit les propos de sa tutrice et suivit donc du regard la direction que cette dernière lui avait indiqué.

Rose n’était pas vraiment une petite fille coquette, cela se voyait déjà dans son apparence des plus banales. Elle était vêtue très simplement, ses cheveux roux qui tombaient en une cascade de boucles dans son dos n’étaient ornés d’aucun apparat et le seul bijou qu’elle portait constamment était caché sous ses vêtements, invisible aux yeux de tous. La seule chose qui compta vraiment pour la jeune fille était les livres. Elle n’avait qu’une seule priorité dans la vie et c’était cela. Apprendre, et rêver. Néanmoins, elle n’avait rien contre regarder un stand qui semblait plaire à sa tante qui plus est, aussi sourit-elle avec autant de timidité que de douceur à sa tante avant de hocher la tête :

« Je veux bien aller les voir, ma tante. »

Suivant fidèlement le pas de sa tutrice, elle sentit qu’elle était quelque peu crispée, via sa poigne de main, et jeta donc un regard vers son aînée qui semblait observer le groupe qui avait dû s’accrocher précédemment… Rose ne commenta pas, mais jeta malgré elle un regard au dit groupe à son tour, la curiosité étant un très vilain défaut qu’elle possédait sans conteste…

Tout se passe trop vite. D'abord, cette femme qui débarque et qui ajoute de l'huile sur le feu - et celle, plus loin derrière, qui se rapproche lentement en nous scrutant et qui me met mal à l'aise. Ensuite, la jeune demoiselle qui se révèle la plus sensée d'entre nous et tente de ramener un semblant d'ordre - mais qui, au final, ne fait qu'attirer l'attention de la police. La voyante qui, voyant les gendarmes s'approcher, essaye de s'enfuir en entraînant avec elle la nouvelle arrivante à la langue bien pendue.
Et voilà que maintenant s'approchent une autre personne, accompagnée d'une enfant. Peut-être mon salut. Si des clients - de vrais clients - s'approchent et que les affaires reprennent, peut-être que tout ça finira par se tasser et que les policiers se détourneront. Le temps qu'elles arrivent, je me tourne vers la jeune fille qui était là en premier et m'incline légèrement. Après tout, elle a voulu tenter de m'aider, la moindre des choses est que je la remercie. Et puis plus la tension tombera vite, mieux ce sera.

"Je te remercie pour ton aide." Me tournant vers l'homme : "Et je m'excuse si j'ai semblé malpoli. Seulement je suis nouveau en ville, et je suis un peu angoissé, je ne voudrais pas avoir tout de suite mauvaise réputation." Revenant vers la jeune fille : "J'ai vu que tu regardais mon matériel de médecine ? Je n'ai pas grand chose - que ce que tu vois sur la table - mais je pense que c'est de bonne qualité. J'avais fabriqué les petits scalpels et les ciseaux en compagnie d'un médecin anglais, qui m'a montré comment faire - ils n'ont rien de spécial ni de magique, si ce n'est que je les ai enchanté contre la rouille. Le stéthoscope, je l'avais racheté à ce même médecin qui n'en avait plus besoin - il disait en avoir dégoté un plus efficace. Celui-ci reste utile et fonctionnel, bien sûr. Et les rouleaux de bandages ont été tissés mains, par ma mère et moi, il y a quelques temps maintenant. Ils sont certains de ne jamais se desserrer. Si tu veux, je peux te vendre l'ensemble pour seulement un franc et quelques sous - pour te remercier de m'avoir aider. Je te laisse réfléchir."

Puis, me tournant vers les deux nouvelles arrivantes : "Bonjour, et désolé pour le raffut, j'espère que ça ne se reproduira plus. Je peux vous aider ?"

Vincent lui tendit le prospectus et continua sa route sans apparemment la reconnaître. Elle tiqua, et rit intérieurement en se rendant compte à quel point elle était habituée à ce que les gens la remarquent, voire la dévisagent. Puis elle entendit sa voix la héler :
- Hé Luciole ! Désolé ! J’étais un peu… dans la lune… enfin bref ! Ça va ?! Au fait, encore merci pour le tuyau de la semaine dernière !
- Pas de souci !
Les Claise avaient plus de biens personnels qu'elle ne l'avait prévu, et voulaient un déménagement rapide et efficace. A quatre, ils n'étaient pas assez. Elle n'avait pourtant pas pensé à lui tout de suite, il fallait bien l'avouer. En l'envoyant chercher, Luciole s'attendait à voir débarquer trois ou quatre personnes. Constater que Vincent était seul l'avait découragée. Cependant, son aide s'était finalement révélée utile.
- Le déménagement de la famille Claise était costaud mais tu avais raison, ils sont généreux !
Elle acquiesça.
L'homme se tut un moment, semblant réfléchir.
- D’ailleurs, pourrais-je encore bénéficier de ton efficacité ? J’aurai besoin de tes services. Je rémunèrerai bien sûr ! Tu vois, je souhaiterais offrir un petit cadeau à mon assistante pour la remercier de son travail. Elle veut une machine pour l’aider à écrire mais ça, c’est encore quelque chose pour le boulot ! J’aimerai bien lui donner aussi quelque chose d’un peu plus personnel. Pas trop cher non plus, je dois faire attention en ce moment. Et je suis même presque sûr qu’elle me réprimanderait sévèrement pour avoir dépensé trop d’argent. Ça t’intéresserait ?
- Pourquoi pas ! Voyons, une machine à écrire ? Ça n'est pas le genre de marchandises auxquelles je m'intéresse, d'habitude, mais je dois pouvoir te trouver ça. Par contre pour l'autre cadeau, je n'en sais rien mais c'est à toi de décider. Il y a de tout, ici !
Luciole réfléchit un moment puis déclara :
- Oui, j'ai ma petite idée sur un stand qui en vend, entre autres choses. Mais ça n'est sûrement pas le seul. Viens !

Vincent fit une moue déçue. Même la célèbre informatrice de la zone Nord de Paris n’avait aucune idée de cadeau pour son assistante. Mais après tout, ce n’était pas si étonnant : sa demande était bien trop vague, même pour Luciole. Et puis c’était justement SON assistante après tout. La tâche lui revenait à lui.

- Je te remercie. Mais, pour la machine à écrire, j’ai déjà repéré quelques stands, soupira-t-il en commençant à compter les prospectus dans sa main. J’attendais juste d’en avoir terminé avec mon travail pour en acheter une. Néanmoins, à tout hasard, si tu tombes sur quelque chose d’intéressant, je suis toujours preneur. Tu n’as pas rencontré Aurore très souvent, pourtant tu dois la connaître presque autant que moi. C’est te dire combien je suis dans la panade.

23… Il lui restait 23 tracts à distribuer. Il aurait terminé en un rien de temps et pourrait se remettre à fureter.

L'altercation prenait une tournure pour le moins originale. Deux jeunes gens de couleur, frère et sœur à en croire les propos échangés, se lançaient des piques pour le moins mordantes, quand soudain la jeune femme à la tignasse brune se mit à hurler en prenant la défense du marchand. Prise de court, Aurore pouffa de rire, qu'elle tenta tant bien que mal de cacher en dissimulant sa bouche derrière les prospectus.

_ La voleuse de poules vous souhaite le bonjour, sale pervers.

oh non; là c'est trop pensa la gouvernante en se penchant sur l'étal pour cacher son rire. On dirait une scène de vaudeville. Heureusement le marchand cherchait posément à calmer les esprits et à reprendre au plus vite les affaires. Aurore jeta un dernier coup d'œil aux protagonistes, histoire de mémoriser leurs visages. Ça pourrait être utile pour le travail secret de son patron, après tout, surtout l'invocatrice. Ces gens-là connaissaient souvent beaucoup de monde dans les cercles magiques. Elle retourna ensuite à la contemplation de l'étal qui proposait des objets intéressants, du moins plus que la moyenne de ce qu'elle avait vu sur les autres stands. L'oreille à l'affût, elle releva la tête et se rapprocha de la jeune femme aux cheveux noirs à laquelle s'adressait le marchand. Depuis son accident, tout ce qui touchait à la médecine l'intéressait, et même si elle n'appréciait pas la magie, elle devait bien reconnaître que sans elle elle ne serait plus de ce monde. Le marchand - d'origine nordique d'après son accent- s'adressait maintenant à une mère et sa fille, mais cela ne la gêna pas outre mesure, elle aimait avoir le temps regarder les objets avant de se faire accoster par les vendeurs. Mais elle ne voyait rien qui l'intéresse, de jolis objets, certes, quelques bijoux de belle facture, mais elle n'était pas coquette. Enfin, avec la magie, on ne savait jamais, il y aurait peut-être un objet utile là-dedans.

_ Excusez-moi monsieur, j'ai entendu que vous aviez des objets de médecine, auriez-vous quelque chose qui atténue la douleur, mais sans trop de magie dedans?

J'avais envie de disparaitre à jamais de ce monde, au final mon petit coup de sang ne fit qu'aggraver la situation, en plus de me faire passer pour une folle. Bon dieu, mère aurait eut si honte de moi...

- ...aider.

Le marchand m'avait parlé mais j'étais trop perdue dans mes reflexions pour faire attention. Il s'excusa ensuite à l'ouvrier, pauvre bougre, il ne méritait pas tout cela, si un jour je venais à le recroiser, je m'assurerais de le soigner à un petit prix. Le marchand se tourna alors de nouveau vers moi.

"J'ai vu que tu regardais mon matériel de médecine ? Je n'ai pas grand chose - que ce que tu vois sur la table - mais je pense que c'est de bonne qualité. J'avais fabriqué les petits scalpels et les ciseaux en compagnie d'un médecin anglais, qui m'a montré comment faire - ils n'ont rien de spécial ni de magique, si ce n'est que je les ai enchanté contre la rouille. Le stéthoscope, je l'avais racheté à ce même médecin qui n'en avait plus besoin - il disait en avoir dégoté un plus efficace. Celui-ci reste utile et fonctionnel, bien sûr. Et les rouleaux de bandages ont été tissés mains, par ma mère et moi, il y a quelques temps maintenant. Ils sont certains de ne jamais se desserrer. Si tu veux, je peux te vendre l'ensemble pour seulement un franc et quelques sous - pour te remercier de m'avoir aider. Je te laisse réfléchir."

Nul besoin de pondérer, la proposition était ô combien alléchante. Ceci dit, il manquait un petit franc aux quelques sous qui tintaient dans mon maigre porte-feuille.

C'est alors que la nouvelle cliente lui demanda s'il avait quelque chose pour atténuer les douleurs. Je me souvenait tout d'un coup que ma besace était remplie d'analgésiques.

Merci mon dieu ! La chance ne m'avait pas totalement quitté !

- Hum... Excusez-moi madame, intervenais-je alors, quelque peu impressionné par la prestence que dégageais cette femme. Il me semble que ce marchand ne possède que des instruments médicaux, rien qui ne puisse efficacement éliminer une douleur donc. Cependant, j'ai sur moi quelques sachets de morphine, substance très efficace pour soulager les pires maux. Je pourrais vous les vendre pour un sou... Euh je veux dire un franc, et en prime, je vous offre une consultation gratuite pour que je puisse examiner ce qui ne va pas. Qu'en dîtes-vous ?

Je tentais de me parer de mon plus beau sourire pour faire passer la pillule. Le marchandage n'était certes point mon fort, mais une offre comme celle-ci avantageait les trois parties présentes.

EDIT : j'ai édité la fin de ce post car j'avais fait des erreurs de ... euh, de rp disons. Aurore, je m'a gouré et toi aussi, on se connait de vue en fait. Enfin sauf si on ne se souvient pas l'une de l'autre mais Luciole a une sacré bonne mémoire des visages (des noms moins) et elle se démarque assez pour marquer les esprits je pense ^^

"- Je te remercie. Mais, pour la machine à écrire, j’ai déjà repéré quelques stands, soupira-t-il en commençant à compter les prospectus dans sa main. J’attendais juste d’en avoir terminé avec mon travail pour en acheter une. Néanmoins, à tout hasard, si tu tombes sur quelque chose d’intéressant, je suis toujours preneur. Tu n’as pas rencontré Aurore très souvent, pourtant tu dois la connaître presque autant que moi. C’est te dire combien je suis dans la panade."

-Oui, je comprends, mais en même temps, je ne peux pas te conseiller sur quelqu'un que je ne connais pas du tout... Un objet magique peut-être ? Il y en a des vachement marrants, mais c'est cher en général, nous on en achète jamais. Un chocolat ? Quelque chose de joli, d'utile ? Ca dépend de ce qu'elle aime. Je regarderai à tout hasard, mais c'est difficile sans connaître la personne. Bon ben, bonne chance !
Luciole salua l'homme, qui recommençait à distribuer ses tracts, et s'éloigna pour continuer à flâner. Elle comptait bien visiter toute la foire, même si cela lui prenait la journée. Elle n'achèterait sans doute rien, mais elle rencontrerait sûrement des gens intéressants.
La plupart des objets magiques étaient vendus à un prix exorbitant, et elle vit avec des yeux ronds des clients acheter des choses clairement inutiles : un oiseau en bois peint aux couleurs criardes qui bougeait la tête tout seul, un miroir qui reflétait une lumière jaunâtre, une lampe rouge qui n'éclairait presque pas...
Beaucoup de marchands profitaient du côté inédit des objets magiques pour vendre n'importe quoi. Enfin, elle passa devant un stand qui proposait des marchandises utiles. Casseroles chauffantes, lunettes qui s'opacifiaient avec la lumière... Elle leva les yeux vers le marchand. Celui-ci était plutôt frêle et semblait peu acclimaté à la ville. Elle ne l'avait jamais vu. Il parlait avec des clients, une femme de belle prestance qu'elle avait déjà aperçue, et une fillette à l'air sage qui lui paraissait inconnue. Un homme à la peau sombre, plutôt bien bâti, se tenait un peu à l'écart, comme gêné. Juste à côté, en train de discuter, deux femmes qu'elle connaissait : elle... ah oui, la fameuse Aurore ! Luciole l'avait croisée une fois ou deux. Et en face...
- Rêverie ! Salut ! lança-t-elle. Puis elle se reprit : Et euh, bonjour, mesdames, Aurore, messieurs. Pardon de mon intrusion, je vous laisse discuter.

Après avoir dit au revoir à Luciole, Vincent avait continué son chemin dans la Foire. Tout en jetant un coup d’œil distrait aux différents stands, il finit de distribuer ses prospectus pour Taillandier. C’est d’ailleurs en donnant le dernier qu’il eut LA révélation. Son regard s’était perdu dans les courbes généreuses de la jeune femme à qui il avait remis le tract et qui lui avait offert un charmant sourire quand il tomba sur un vendeur de fourniture. Vincent s’en approcha et ses yeux se posèrent instantanément sur un magnifique stylo-plume vert émeraude brillant. Mais ce cadeau serait maladroit, elle qui lui avait justement demandé une machine pour écrire à sa place, si le corps de l’outil ne dissimulait pas une lame effilée. Aurore utilisait déjà son ombrelle pour cacher une arme dans le manche. Peu de femmes apprécieraient ce genre de cadeaux, toutefois, Vincent jugea qu’il était parfait pour son assistante. Et le mieux, c’est qu’il restait dans ses moyens.

- Je vais le prendre ! C’est possible un paquet ? C’est pour offrir !

Le commerçant s’exécuta. Pendant qu’il s’affairait à rendre le stylo aussi bien présenté que possible, Vincent regarda distraitement aux alentours. Il vit alors Aurore du côté des stands, juste derrière celui du vendeur de fourniture. Le jeune homme mâchouilla ses lèvres en espérant qu’elle ne le repèrerait pas, gâchant la surprise. Luciole arriva justement auprès d’elle et salua au passage une autre fille avec qui Aurore semblait faire des affaires.

« Non mais je rêve ! »

Ces cheveux noirs, ce teint pâle… ce visage… Vincent sortit de son portefeuille le petit calepin où Gracia, dessinatrice de génie et assistante d’une voyante avait illustré des personnes recherchées par le Conseil. L’agent du Voile le regardait régulièrement pour bien imprimer dans son esprit leur apparence. Elle était bien là : Rêverie de Perce-Neige.
Vincent décida d’agir prudemment. Il ne devait pas s’en prendre à elle à la légère, surtout parmi toute cette foule. Elle serait une Possédée standard, il aurait trouvé un moyen de la faire accuser de quelque chose et l’aurait arrêté à la barbe des policiers avant l’emmener au Conseil. Mais, selon les données qu’il possédait, Rêverie n’était pas une Possédée standard. Sans même le vouloir, elle pourrait tuer toutes les personnes proches d’elle. Pour le moment, il se contenterait donc de la prendre en filature…

- Hum... Excusez-moi madame, intervenais-je alors, quelque peu impressionné par la prestance que dégageais cette femme. Il me semble que ce marchand ne possède que des instruments médicaux, rien qui ne puisse efficacement éliminer une douleur donc. Cependant, j'ai sur moi quelques sachets de morphine, substance très efficace pour soulager les pires maux. Je pourrais vous les vendre pour un sou... Euh je veux dire un franc, et en prime, je vous offre une consultation gratuite pour que je puisse examiner ce qui ne va pas. Qu'en dîtes-vous ?

Aurore se tourna vers la jeune fille et la détailla rapidement. Cheveux d’un noir de jais peignés à la diable, teint plus que pâle, yeux d’un bleu étonnant, ça lui disait bien quelque chose, mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Enfin bon, elle n’avait jamais été physionomiste, et la guérisseuse lui proposait de quoi calmer ses douleurs ainsi qu’une consultation gratuite, même si le prix était excessif. Elle réprima un sourire amusé – après tout le docteur Charcot en personne la suivait- et répondit à la jeune fille brune.

_ C’est efficace votre morphine ? J’ai déjà essayé beaucoup de choses, mais rien n’a vraiment été efficace. Pour la consultation – Aurore rougit violemment à l’idée, elle avait beau avoir été exposée à nombres d’internes et continuer à l’être parfois en tant que sujet d’études, elle était restée très prude – il faudrait un lieu plus…discret.
- Rêverie ! Salut ! Et euh, bonjour mesdames, et monsieur. Pardon de mon intrusion, je vous laisse discuter.

L’intruse était une jeune fille à l’allure assez extraordinaire. Lunettes opaques sur les yeux, cheveux constellés de plumes et de perles, elle se démarquait du reste de la foule. ça lui revenait, c'était Luciole, une des "aides" de l'agence.Quant au nom qu’elle avait clamé, ça lui revenait maintenant, c’était une des « cibles » du Voile.

_Rêverie, murmura-t-elle avant de se reprendre. C’est un bien joli prénom ! Je m’appelle Aurore. Je vois que nous avons une connaissance en commun. Bonjour Luciole!

Elle tendit la main à la guérisseuse, et ajouta quelques mots.

_ D’accord pour un franc ! Marché conclu ! Vous connaissez un endroit où nous pourrions nous retrouver pour la consultation ? Ce ne sera malheureusement pas vraiment possible chez moi, mon employeur n’apprécierait pas.

A la vérité, elle voulait surtout en savoir plus sur la Possédée avant d’en parler à Mister G. Et surtout avant de prendre une décision, car la situation lui posait un véritable dilemme.

[hrp]: edit suite à l'edit de Luciole[/hrp]

La dame sembla quelque peu amusée par mon intervention, assez maladroite je dois avouer. Elle questionna alors l'efficacité de mon produit, disant qu'elle avait essayé maintes préparations sans succès. Aucune crainte à avoir de ce niveau-là, la morphine était un pur produit scientifique, testé et approuvé par des chimistes compétents, à la pointe de la technologie moderne. Rien à voir avec l'herbe à chats que vendaient certains apothicaires peu scrupuleux. Le traitement allait marcher, quoique je devais la prévenir sur les risques de dépendance.

- Rêverie ! Salut ! Et euh, bonjour mesdames, et monsieur. Pardon de mon intrusion, je vous laisse discuter.

Ah... un rayon de lumière vint égayer ma matinée. Luciole, ma chère et tendre petite Luciole, toujours aussi souriante et débordante de vie. Je l'admirais plus que tout, elle était belle et populaire, aussi délicieuse qu'une douce sucrerie, charmante et ô combien espiègle, libre surtout, comme un oiseau libéré de ses chaines. Je l'enviais aussi, moi qui étais tout son contraire...

Ne sois pas trop aveuglé par sa lumière, sais-tu ce qu'on dit ma chère ? Pour qui vit dans les ténèbres, l'éclat des particules éthérées est aussi flamboyant que le soleil.

Soit, Mort, soit. Mais je ne suis qu'une humaine au final, faible et pleine de vices. J'aime Luciole et je la hais, sa chaleur me réconforte, mais me brûle parfois, son sourire me rends folle amoureuse ou me crève le coeur de chagrin. Je ne sais quoi penser d'elle au final, je me contente donc de lui renvoyer son enthousiasme du mieux que je le peux, car je sais que ce kaléidoscope de fraîcheur n'est là que pour voiler une part plus sombre.

La dame tendit alors sa main en ma direction, tout en me signalant que j'avais un beau nom. Je rougis de la remarque et baissais les yeux, embarrassée qu'une aussi élégante jeune femme puisse me dire cela.

_ D’accord pour un franc ! Marché conclu ! Vous connaissez un endroit où nous pourrions nous retrouver pour la consultation ? Ce ne sera malheureusement pas vraiment possible chez moi, mon employeur n’apprécierait pas.

J'affichais un sourire enchanté à ces dires, j'eus presque envie de me jeter dans ses bras pour pleurer de gratitude, mais me retint de faire geste aussi déplacé, pas sûr qu'elle apprécierait.

- Merci beaucoup madame ! Voici vos sachets, prenez un comprimé par jour, je dis bien un seul ! Cette substance n'est pas à prendre à la légère, sans doute pour cela qu'elle est aussi efficace d'ailleurs. Si vous ne sentez pas de changement, n'augmentez en aucun cas la dose, revenez juste me voir, je vous rembourserais ce qui reste et vous proposerait un autre traitement. J'habite dans les taudis près de la basilique en construction, tournez à gauche vers la petite allée à côté de la taverne Sirène des bois, c'est la "maison" au fond de l'impasse. Merci encore !

Je donnais le franc directement au marchand, qui avait apparemment compris ma manoeuvre précédente et donc préparé tout le matériel médical entre-temps.

- Merci monsieur, je reviendrai vous voir à l'occasion, aviez-vous prévu de vous installer quelque part ?

Le temps qu'il puisse me répondre, Mort intervint.

Ne te retourne pas. Un homme est en train de t'observer depuis tout à l'heure, vu l'aura qu'il dégage, je ne pense pas qu'il te veuille du bien. Il est un peu spécial d'ailleurs, on dirait que le mal l'habite...

Un possédé ? Un agent du Voile ?

Je ne sais pas, il n'est pas normal en tout cas. Agis comme si de rien n'était et voyons s'il te suit, si c'est le cas...

Je ne répondais pas. Nous savions tout les deux ce qu'il fallait faire s'il venait à me suivre...

Madame? Aurore fit une petite moue amusée, même si aller se promener du côté de Montmartre le soir ne l'enchantait guère. Mais elle aurait Durandal à ses côtés et était prête à en découdre s'il le fallait.

_ Pas de madame, voyons ! Tout le monde m'appelle Aurore, n'est ce pas Luciole ? Je peux venir chez vous ce soir ? J'ai encore un peu de travail ici, et une tonne à l'agence ! Je devrais pouvoir m'éclipser vers huit heures, ça ferait neuf chez vous, ce n'est pas trop tard ?

Elle se tourna rapidement vers le marchand, prise d'une inspiration. Un marchand voyait passer toutes sortes de gens, et même juste les talents de celui-ci pourraient être utiles à l'agence. Elle lui tendit un prospectus en affichant un grand sourire-la perspective de ne plus souffrir grâce à la science lui avait rendu sa bonne humeur.

_ N'hésitez pas à venir nous voir, nous rendons des services en tous genres grâce à nos contacts. On pourrait par exemple vous aider à trouver un logement, ou vous fournir du travail de temps en temps. Si vous tombez sur mon patron, dites que c'est Aurore qui vous envoie, il vous fera un prix !

La jeune femme se détourna, et adressant un signe de tête à Rêverie et Luciole, reprit son chemin dans la foule en distribuant les prospectus pour l'agence, s'arrêtant parfois pour répondre aux questions de clients potentiels.

Les choses se passent plus rapidement que prévu, et la personne et son enfant que j'ai saluées ne paraissent pas m'avoir entendu. Une autre cliente me pose une question - me demande si j'ai quelque chose pour atténuer les douleurs - mais je n'ai pas le temps de répondre que déjà la jeune fille aux cheveux noirs lui propose ses services.
Un peu soulagé - je n'aime pas éconduire moi-même un client, il y a toujours le risque qu'il ne revienne jamais - je me tourne vers une nouvelle personne, des lunettes d'aviation vissées sur le nez, qui semble connaître les deux femmes. La plus jeune s'appelle donc Rêverie, et l'autre Aurore...
Je jette un oeil à la foule pour repérer d'autres clients potentiels, puis, ne voyant personne s'approcher, reviens à Rêverie et Aurore. D'une oreille, j'écoute leur conversation et comprends que Rêverie marchande pour pouvoir s'offrir mon ensemble de médecine. Machinalement, j'emballe le tout et récupère le franc que la demoiselle me tend. La journée n'aura pas été trop mauvaise finalement. Avec de la chance, tous ces gens se souviendront de moi s'ils ont besoin de quelque chose. Je pourrai alors m'installer un peu plus définitivement, peut-être ouvrir ma propre boutique, et alors j'aurai plus de temps pour reprendre mes recherches.

- Merci monsieur, je reviendrai vous voir à l'occasion, aviez-vous prévu de vous installer quelque part ?

La question me prend un peu au dépourvu et me tire de mes pensées.

- Heu... On m'a indiqué un quartier au nord où je pourrai peut-être m'établir, mais je n'ai pas encore été voir.

Aurore se tourne alors vers moi, me tend un prospectus et sourit.

- N'hésitez pas à venir nous voir, nous rendons des services en tous genres grâce à nos contacts. On pourrait par exemple vous aider à trouver un logement, ou vous fournir du travail de temps en temps. Si vous tombez sur mon patron, dites que c'est Aurore qui vous envoie, il vous fera un prix !

- Merci à vous. Je n'y manquerai pas.

Finalement, les gens de Paris ne semblent pas tous froids et distants que je le pensais. Et trouver une chambre ne sera peut-être pas si compliqué que ça.
Aurore se retire, laissant Rêverie et la dénommée Luciole seules devant mon étal. Sans oublier la dame et son enfant qui, discrètes, regardent mes babioles depuis tout à l'heure. La journée est loin d'être finie.

Luciole, tout en regardant les objets que vendait le marchand, écouta distraitement les conversations. Rêverie qui faisait des affaires avec la gouvernante de Vincent... c'était presque étonnant.

Vu l'accent du marchand, il n'était pas français. De plus ils avaient parlé d'une recherche de logement. Il devait venir d'arriver. Quelqu'un à Montmartre dont elle ne savait rien ! Il n'en fallait pas plus pour piquer sa curiosité.
Elle salua Aurore qui s'en allait et s'approcha du marchand et de son amie.

- Bonjour ! Ils sont intéressants, vos objets. Vous les avez fabriqué vous-même ? Ah, et vous venez d'où ? Vous venez d'arriver, non ? Au fait, moi c'est Luciole, et cette petite mélancolique c'est Rêverie. Et vous ?

Se rendant compte qu'elle avait comme à son habitude assommé son interlocuteur de questions, elle eut un sourire amusé et prit un air candide pour faire bonne mesure.

Petite mélancolique...
Mignon comme surnom, je n'en attendais pas moins de ma Luciole, ce fut presque suffisant pour me faire oublier que nous étions épiés moi et Mort. Même s'il n'y avait aucune crainte à avoir de ce côté là, car si la personne était bien un agent du Voile, elle devait avoir une idée bien claire de la nature de mon pouvoir, ou devrais-je dire ma malédiction ?

Quel était mon crime tout compte fait ? Est-ce que j'aurai dû accepter mon destin et vivre avec ce pédophile de baron ? Ou alors devais-je juste me résoudre à finir ma vie dans un bordel ? Et si c'était l'épisode avec les bonnes soeurs ? Si ça se trouve c'est de ma faute si je leur ai fait confiance. Non, c'était sans doute à cause du fait que parmi toutes les arcanes possibles, il a fallu que je sois compatible avec la pire d'entre elle. Oui, voilà, mon crime est d'être ce que je suis, tout simplement.
Ah... Je n'aurai jamais dû exister tout compte fait.

Arrête de te lamenter sur ton sort et regarde le bon côté des choses, ton pouvoir passif est nullifié. Tant que tu porte ce collier, tu peux mener une vie normale.

Ca ne les empêche pas de me harceler, ni eux ni cette organisation à la noix de tarés illuminés. Mais tu as raison, mon pouvoir n'est qu'une excuse, c'est moi, en tant qu'être, qui suis le problème.
C'est pour cela que je dois avancer, m'améliorer, me sociabiliser, peut-être qu'à force de traîner près de Luciole sa bonne humeur déteindra sur moi...
Je me retournais vers elle, avec la ferme intention de lui dire combien je la trouvais belle et resplendissante aujourd'hui.

- Euh... T-tu es... Mmm... Comment va ta soeur ?

Mais comme d'habitude, je ne parvenais pas à exprimer mes vrais sentiments...

Étonnée de cette question, Luciole se tourna vers Rêverie.
- Anita ? Ca va ! Elle aurait voulu venir à la foire, mais on s'est dit que ça ne serait pas très intéressant pour elle au final. Aah ! Je voulais lui ramener quelque chose, j'ai complètement oublié ! C'est toujours difficile à trouver...
Atterrée, elle se tourna de nouveau vers le marchand :
- Et euh... vous n'auriez pas quelque chose de... d'agréable à toucher, ou avec une bonne odeur ? Je vais peut-être lui prendre une sucrerie, sinon. Zut, j'y pensais tout à l'heure pourtant. Sinon, Rêverie, tu n'as toujours pas de recette miracle pour guérir de la cécité ou du mutisme ? Ça, ça ferait un super cadeau, fit-elle sur un ton narquois.
Luciole pesta intérieurement contre elle-même. Elle s'en voulait d'avoir oublié le cadeau pour Anita, et de n'avoir toujours pas trouvé comment guérir ses handicaps.

Méprisant, Balth’ ne prit pas la peine de répondre à sa jumelle qui, décidément, n’était pas meilleure que lui malgré ce qu’elle semblait croire. Toutefois, le jeune homme était lui aussi capable de se rendre compte du danger que représentant la situation, notamment pour lui. Il n’oubliait pas que s’ils se ressemblaient quelque peu, Moire et lui n’avaient pas tout à fait la même place dans la société parisienne et Balth’ ne doutait pas qu’elle serait bien plus en possibilité de se tirer d’un mauvais pas que lui-même ne l’était, bien qu’il soit plus grand et bien plus musclé que sa sœur.

Surtout, ce fut l’autre femme, celle la même que Balth’ avait renversée, qui prit la parole d’une façon bien agressive et qui fit monter la moutarde au nez du jeune métis. Malheureusement, il n’était pas vraiment en position de se défendre pour les raisons déjà bien évoquées. Il n’avait aucune envie de se faire embarquer par la police en maraude, ce qui serait de très mauvais effet. En plus, elle n’avait pas tout à fait tort : ils faisaient beaucoup de bruit pour pas grand-chose et s’énervaient largement trop. Mais en même temps, si Moire n’avait pas mis son grain de sel dans cette histoire, rien de tout cela ne serait arrivé.

Encore une fois, et bien qu’il n’eût pas sa langue dans sa poche, Balth’ se tut. Et tout s’accéléra: Moire et la gitane disparurent ensemble, le marchand s’excusa auprès de Balth’ et la situation sembla retrouver son calme.

« C’pas grave », se contenta de répondre l’ouvrier avant, lui aussi, de déguerpir. Il n’avait plus rien à faire ici et les mauvaises pensées commençaient sérieusement à envenimer sa tête. S’il restait trop longtemps il risquait de faire une bêtise et les policiers qui cadraient les lieux étaient nettement plus forts que lui – ou du moins, mieux protégés. Autant lui aussi disparaître pour aller ruminer sa haine ailleurs. Il aurait bien d’autres moments pour l’exprimer et surtout, ce pauvre marchand n’avait rien fait pour en subir les conséquences.

TERMINE pour Balth'

Guérir de la cécité ? Possible, si seulement je pouvais "voir" ce qui n'allait pas avec ses yeux, mais pour cela il me faudrait des instruments bien trop onéreux. Et puis même si je parvenai à trouver la cause, impossible de l'opérer sans des outils parfaitement stériles, sans compter l'anesthésie et les produits...

Si cela avait été maître, il aurait tôt fait de trouver une alternative par sa magie blanche, mais je n'étais pas lui, je ne serais jamais lui. La technologie médicale était ma seule arme.
Son mutisme est tout aussi délicat. S'il est dû à une pathologie de son système nerveux central, aucune chance, mais si ce n'était que psychologique, il y'aurait de l'espoir. Cela dit, il y a aussi fort à parier que tout cela est causé par sa mutation, et à ce niveau là, la médecine a encore bien des progrès à faire avant de trouver des traitements.

C'est dans ces moments-là que je me rends compte de mon impuissance. Je ne peux rien faire, absolument rien. Comme quand on m'injecta de force mon arcane, j'eus beau pleurer, me débattre, supplier, mes prièrent demeurèrent sans réponses. On aurait dit que l'espace d'un instant, j'étais moi aussi devenue aphone, et que dieu là-haut, s'était crevé les yeux pour occulter mes souffrances.

C'est peut-être en ce moment-là que j'ai perdu ce qui me restait d'humanité, d'innocence, de foi, quant à savoir si un jour je les retrouverais, il y avait matière à douter. Ce que je ne perdrais jamais par contre, c'est mon envie de changer les choses, je suis maudite ? Ok ! Je suis traquée ? Très bien ! Je suis pauvre et pathétique ? Tant mieux ! Raison de plus pour ramper avec acharnement dans cette terre noire et immonde. Je n'aurais sans doute jamais l'intelligence ni l'astuce des plus grands scientifiques, mais je trouverai un moyen de changer ce monde, je le ferai, même si cela doit me tuer, je jure que j'y parviendrai !

- Je vais sauver ta soeur, tu en as ma parole. Il faut juste que je trouve des gens assez fous pour financer les recherches d'une fille qui n'a jamais mis les pieds dans une faculté de médecine.

Et qui est possédée par la mort elle-même
Je jetais un rapide coup d'oeil à ma montre, déjà midi, il fallait que j'aille nettoyer ma demeure pour la patiente de ce soir.

- Je dois y aller Lu', salut !

Pendant que Rêverie et Luciole discutent, je réfléchis. Quelque chose avec une bonne odeur, pour une fillette aveugle ? Machinalement, je porte la main à mon cou et sens mon collier sous mes doigts. Ma rune, mon talisman protecteur sur les routes. C'est vrai qu'il me reste les autres runes, ça ferait un bon cadeau. Je me tourne vers Luciole.

- Je reviens. J'ai peut-être ce qu'il te faut, mais c'est dans mon chariot.

Je trouve facilement les petits pendentifs de bois en forme de losange qui pendouillent au bout de leurs lanières de cuir - je les avais accrochées à la poignée de Skydd pour ne pas les perdre. J'ai toujours un peu de peine à m'en séparer, elles sont parmi mes toutes premières création et me rappellent mon enfance. J'attrape celle qui me semble le mieux convenir - gravé d'une rune en forme d'éclair. L'odeur qui s'en dégage, celle du bois de pin, est aussi vivace qu'au jour où je l'ai taillée. Décidément, je crois que c'est le choix le plus approprié à faire.
Lorsque je reviens à mon étal, Rêverie est partie, mais Luciole attend toujours. Je lui tends le collier.

- Ce n'est pas grand chose, mais je pense que c'est ce qu'il tefaut. Il n'a rien de particulier ou de magique ; il a juste été taillé par les mains d'un enfant fasciné par le bois et porte en lui l'essence et l'esprit des forêts de pins de la Suède. J'ai fabriqué plusieurs de ces colliers, et chacun porte une rune qui signifie quelque chose. J'en porte un moi-même (je lui montre mon collier, gravé d'une rune en forme de M) qui me rappelle mes terres natales. Il est le symbole du lien entre l'homme et son cheval, et représente le voyage. J'aime croire qu'il me protège sur les routes. Le tien porte la rune qui s'appelle Sol, ou Soliwo, ou Sigel suivant les régions. Elle représente la lumière et le soleil, elle guide les gens perdus dans le noir et fait fondre les glaces de l'hiver. J'ai cru comprendre que ta soeur est aveugle, et j'espère que ton cadeau lui apportera un peu de lumière dans les ténèbres.

Je souris.

- Je te parais sans doute un peu superstitieux, mais après tout, ces temps-ci, je ne sais plus tellement que croire. Au fait, tu me demandais mon nom : je m'appelle Kettil, mais tout le monde m'appelle Kjell, c'est plus rapide. Et s'il te plaît, ne m'appelle pas "vous" : là d'où je viens, c'est réservé aux rois et aux princes.

Rêverie eut une réaction totalement inattendue à la question qu'elle avait posée sur un ton mi-amer, mi-plaisantant : elle prit un air sérieux et eut l'air de réfléchir pendant un moment. Puis elle déclara :

- Je vais sauver ta soeur, tu en as ma parole. Il faut juste que je trouve des gens assez fous pour financer les recherches d'une fille qui n'a jamais mis les pieds dans une faculté de médecine.

Luciole fit les yeux ronds et ouvrit bêtement la bouche. Le marchand dit quelque chose et s'éloigna, mais elle ne parvint pas à y faire attention. Au bout de quelques secondes, elle se ressaisit et balbutia :

- C'est... c'est vrai ? Tu peux ?

Rêverie regarda sa montre, la salua et la laissa plantée là.
Luciole ferma la bouche et fut interpelée par le marchand qui revenait :

- Ce n'est pas grand chose, mais je pense que c'est ce qu'il te faut. Il n'a rien de particulier ou de magique ; il a juste été taillé par les mains d'un enfant fasciné par le bois et porte en lui l'essence et l'esprit des forêts de pins de la Suède. J'ai fabriqué plusieurs de ces colliers, et chacun porte une rune qui signifie quelque chose. J'en porte un moi-même (je lui montre mon collier, gravé d'une rune en forme de M) qui me rappelle mes terres natales. Il est le symbole du lien entre l'homme et son cheval, et représente le voyage. J'aime croire qu'il me protège sur les routes. Le tien porte la rune qui s'appelle Sol, ou Soliwo, ou Sigel suivant les régions. Elle représente la lumière et le soleil, elle guide les gens perdus dans le noir et fait fondre les glaces de l'hiver. J'ai cru comprendre que ta soeur est aveugle, et j'espère que ton cadeau lui apportera un peu de lumière dans les ténèbres.

Il sourit et ajouta :

- Je te parais sans doute un peu superstitieux, mais après tout, ces temps-ci, je ne sais plus tellement que croire. Au fait, tu me demandais mon nom : je m'appelle Kettil, mais tout le monde m'appelle Kjell, c'est plus rapide. Et s'il te plaît, ne m'appelle pas "vous" : là d'où je viens, c'est réservé aux rois et aux princes.

Luciole saisit l'objet qu'il lui tendait. C'était un losange de bois gravé d'un éclair, au bout d'une lanière de cuir. Le pendentif était doux et lisse, et sentait le pin et le vernis. Elle sourit en le lui rendant.

- Vraiment ? Vous... tu as fait ça quand tu étais petit ? C'est joli. En plus il sent bon, il plairait sûrement à Anita. Mais tu as l'air d'y tenir, et... enfin, combien tu le vends ?

Luciole hésitait à dépenser beaucoup dans ce qui était censé être un petit cadeau. Ils vivaient plutôt bien, surtout depuis que Léon et elle étaient en âge de gagner efficacement leur vie, mais ils étaient loin de rouler sur l'or. Rendre Ani' heureuse était un de ses soucis principaux, mais joli ou non, ce pendentif restait une babiole...

- Vraiment ? Vous... tu as fait ça quand tu étais petit ? C'est joli. En plus il sent bon, il plairait sûrement à Anita. Mais tu as l'air d'y tenir, et... enfin, combien tu le vends ?

- Comme je t'ai dit, il n'a vraiment rien de spécial en soi, ce n'est qu'un pendentif tout simple. Dix sous suffiront. Et je préfère savoir que quelqu'un le porte plutôt que de le voir chaque jour prendre la poussière au fond de ma roulotte. En plus, j'ai toujours le mien. Et puis qui sait, avec l'arrivée de la magie, peut-être que les runes ont regagné un peu du pouvoir qu'on leur prêtait autrefois.

Je frissonne - une bise froide s'est levée. En regardant autour de moi, je m'aperçois que le soir est déjà en train de tomber. La foire est moins peuplée qu'auparavant, quelques marchands commencent déjà à emballer leurs affaires. Je tourne la tête vers Luciole - et je ne trouve plus quoi dire. Je n'arrive plus à détacher les yeux. Je ne comprends pas vraiment pourquoi : elle est plutôt jolie, mais pas plus qu'une autre fille. Non, c'est plutôt comme une espèce d'aura qui l'entoure. Dans la lumière du crépuscule, elle scintille. Je comprends mieux pourquoi elle s'appelle Luciole.

Ne voulant pas donner l'impression de la dévisager, je reprends contenance.

- Il te fallait autre chose à part ça ?

- Comme je t'ai dit, il n'a vraiment rien de spécial en soi, ce n'est qu'un pendentif tout simple. Dix sous suffiront. Et je préfère savoir que quelqu'un le porte plutôt que de le voir chaque jour prendre la poussière au fond de ma roulotte. En plus, j'ai toujours le mien. Et puis qui sait, avec l'arrivée de la magie, peut-être que les runes ont regagné un peu du pouvoir qu'on leur prêtait autrefois.

- Dix sous ? Alors c'est d'accord, je le prends.

Luciole se mit à fouiller dans sa besace pour dénicher sa bourse. Quand elle la trouva enfin, elle releva la tête et vit le marchand... Kjell, en train de la dévisager avec des yeux ronds. Elle haussa un sourcil et leva sa main devant elle. Celle-ci dégageait une faible lumière bleutée. Il commençait déjà à faire nuit ?

- Oh, fit-elle.

Kjell, qui avait fait disparaitre son expression ébahie, changea de sujet :

- Il te fallait autre chose à part ça ?

- Non non, ce sera tout, merci. A moins que... tu sais où aller, ce soir ? Parce que tu pourrais venir avec nous ! J'ai des tas de questions à te poser, j'ai rarement rencontré d'étrangers. En plus, tu expliquerais mieux que moi à Anita d'où vient ce pendentif.

Elle appuya sa proposition d'un grand sourire enjoué. Ce jeune homme avait sûrement des histoires passionnantes à leur raconter !

- Alors ? Ca te dit ?

La proposition est tentante. Le soleil tombe vite, et la nuit est rarement le meilleur moment pour chercher un logement. Ma seule inquiétude est pour Vän et la roulotte. Le cheval n'a pas bougé de la journée, et c'est déjà un miracle. Je m'en veux un peu de ne pas lui avoir fourni un emplacement digne de ce nom dans une étable ou une auberge de la ville, et j'ai peur que Luciole et sa famille ne puisse pas lui offrir le toit qu'il mérite. En plus, les laisser sans surveillance, lui et le chariot, me met toujours mal à l'aise. Il suffirait que quelqu'un les vole pour que je perde à la fois mon seul compagnon et tout mon travail. Et l'idée que celui qui volerait Vän passerait un sale quart d'heure ne suffit pas à me rassurer.

Toutefois, on ne m'a pas fait de meilleure proposition de toute la soirée - ni même des trois jours que j'ai passé à Paris - et c'est avec joie que je tends la main à Luciole.

- Ça me va. Je te suis. Il y a de quoi s'occuper de mon cheval, là où on va ?

Luciole réfléchit. Mathurin, qui habitait à deux pas, avait deux bêtes de trait pour ses champs, qui dormaient dans une grange le soir venu. Il accepterait sûrement d'héberger le cheval de Kjell pour une nuit.

- Bien ! Oui, ça doit pouvoir se faire, on a un voisin qui a des boeufs, ton cheval pourra dormir avec eux. Par contre, si tu veux de la nourriture pour lui, je pense qu'il te demandera une petite rétribution. On n'est pas très riches, dans le coin. Bon, on ramasse tout ça et on y va !

La jeune fille aida le marchand à rassembler son étal. Quand ils eurent fini, la place était presque déserte et il faisait de plus en plus sombre. Elle remonta son écharpe sur son nez et enfila des gants pour cesser de briller à des mètres à la ronde.

- Viens !

Elle partit devant et le guida jusqu'à leur petit village.

» Montmartre
» [4 avril 1873] Logis de Rêverie
» [4 avril 1873] Retour (discret?) à la maison
» [4 Avril 1873] Chez Moire Delarche, en soirée
» [4 avril 1873] Agence Vincent Genevrier - Homme à tout faire